Résumé rapide : Dagon est une créature marine gigantesque et divine, présente dans le Mythe de Cthulhu. Elle apparaît pour la première fois dans la nouvelle Dagon (1919), préfigurant l’univers horrifique de Lovecraft.

Parmi les entités les plus anciennes et redoutables de l’univers créé par H. P. Lovecraft, peu inspirent autant de fascination et de mystère que Dagon. Figure aquatique, monstrueuse et quasi-divine, Dagon représente à la fois la terreur de l’inconnu sous-marin et les cultes obscurs vénérant des puissances oubliées. S’il est apparu dans la très courte nouvelle éponyme, écrite en 1917 mais publiée en 1919, son influence et sa présence se retrouvent dans d’autres œuvres du Mythe de Cthulhu, faisant de lui bien plus qu’un simple monstre : une entité centrale dans la cosmogonie lovecraftienne.
Origines et influences de Dagon la créature aquatique
Le nom Dagon : entre mythe biblique et réinvention lovecraftienne
Le nom « Dagon » n’est pas une invention pure de Lovecraft. Dans les textes bibliques, Dagon est une divinité phénicienne et philistine, souvent associée à la fertilité et aux moissons, parfois représentée sous une forme mi-homme mi-poisson. Cette origine mythologique a sans doute inspiré Lovecraft, qui a recyclé le nom et l’a métamorphosé pour l’adapter à son univers horrifique.
Inspirations maritimes et folkloriques

Lovecraft était fasciné par l’océan, qu’il considérait comme une source d’effroi primitif. Il écrivait dans une lettre : « L’océan est l’ultime inconnu, une masse antique et insondable ». Cette peur de l’immensité aquatique, nourrie par des lectures de mythes anciens, a trouvé un exutoire créatif dans la figure de Dagon.
Dagon dans l’univers de Lovecraft : création ou redécouverte ?
Dagon est présenté non comme une créature nouvelle, mais comme une entité ancienne oubliée par l’humanité. Dans la nouvelle, le narrateur le découvre par accident : « Je crois que c’étaient les anciens dieux de la mer, revenus parmi nous ». Cette perception participe à l’effet d’horreur cosmique propre à Lovecraft.
Apparence et nature de la créature
Description physique de Dagon selon les textes
Dagon est présenté comme une entité colossale, à l’aspect mi-humain, mi-poisson, recouverte d’écailles luisantes semblables à celles d’un monstre marin ancestral. Ses membres sont dotés de membranes natatoires, ses yeux globuleux et inhumains brillent dans l’obscurité humide des abysses, et sa masse imposante suggère une puissance quasi divine. Dans la nouvelle Dagon, son surgissement hors des eaux primordiales est décrit par le narrateur comme un être titanesque à l’aspect de poisson et d’homme, jaillissant des flots sombres, une vision qui cristallise la terreur cosmique.
Cette apparence n’est jamais pleinement détaillée, laissant au lecteur la charge d’imaginer l’horreur, ce qui renforce son impact psychologique. Lovecraft préfère souvent suggérer plutôt que montrer, laissant planer une aura de mystère autour de Dagon. C’est cette absence de description précise qui nourrit une angoisse diffuse : Dagon n’est pas simplement monstrueux, il est littéralement indicible.
Les similarités avec les Profonds (Deep Ones)

Dagon partage de nombreux traits avec les Profonds, ces hybrides humanoïdes et aquatiques que l’on découvre dans Le Cauchemar d’Innsmouth. Comme eux, il est amphibie, doté d’écailles, de branchies et d’une physiologie à la fois humaine et abyssale. Mais là où les Profonds forment une population, Dagon semble en être la figure centrale, une sorte de dieu-roi ou de patriarche monstrueux.
Cette relation est renforcée par les récits du culte d’Innsmouth, où Dagon et Hydra sont vénérés comme des divinités marines. Certains exégètes du Mythe de Cthulhu y voient une hiérarchie théologique, où Dagon gouverne les Profonds (voir notre article sur les Profonds) comme une figure paternelle et terrible. Cette filiation entre Dagon et les Profonds introduit une dimension presque mythobiologique, mêlant évolution, dégénérescence, et culte païen.
Dagon est-il un Grand Ancien ou une autre forme de divinité ?
Contrairement à Cthulhu ou Azathoth, Dagon n’est jamais clairement classé dans une catégorie définie du panthéon lovecraftien. Il est parfois évoqué comme un Grand Ancien, mais d’autres sources le désignent plutôt comme un « prêtre » ou un intermédiaire au service d’une puissance plus vaste. Cette ambiguïté fait partie intégrante de sa force narrative : Dagon incarne une zone grise du Mythe.
Sa proximité avec les humains – dans sa forme, son habitat et ses interactions – le distingue des entités plus abstraites comme Yog-Sothoth (présenté ici). Cela le rend plus immédiat, plus présent, mais aussi plus inquiétant. Dagon est une divinité tangible, une menace réelle, capable de s’immiscer dans la réalité quotidienne, comme en témoigne le destin tragique des habitants d’Innsmouth.
Le rôle de Dagon dans le Mythe de Cthulhu
Un culte ancien et sous-marin

Dagon est au cœur de cultes marins secrets, principalement celui de la mystérieuse ville d’Innsmouth. Ces cultes pratiquent des rituels sanglants, des alliances interespèces, et des sacrifices humains dans l’espoir de bénéficier de faveurs surnaturelles – longévité, prospérité, et fusion avec les Profonds. L’existence de tels cultes reflète l’idée d’une corruption invisible, ancienne, et profondément enracinée dans le monde.
Ce culte n’est pas simplement religieux : il transforme génétiquement ceux qui y participent, jusqu’à une fusion complète avec l’élément marin. Le pacte avec Dagon implique donc un prix terrible : l’abandon progressif de l’humanité. Cette thématique de transformation et de dégénérescence est omniprésente chez Lovecraft, et Dagon en est un des symboles les plus puissants.
Dagon et Hydra : couple monstrueux ou double entité ?
Hydra, entité souvent mentionnée aux côtés de Dagon, est décrite comme une créature féminine au rôle complémentaire. Ensemble, ils forment un couple divin qui régente les Profonds et coordonne leurs cultes. Mais leur relation exacte reste mystérieuse : sont-ils partenaires égaux, ou deux faces d’une même entité marine ?
Cette dualité ouvre la voie à diverses interprétations. Certains voient en Hydra la contrepartie maternelle de Dagon, dans une cosmologie inspirée des mythes antiques. D’autres y perçoivent un symbole de fécondité monstrueuse, une matrice génétique à l’origine des hybrides d’Innsmouth. Ce flou volontaire participe à la richesse mythologique du Mythe.
Relations entre Dagon et Cthulhu : subordonné ou rival ?

Le lien entre Dagon et Cthulhu n’est jamais explicitement défini dans les textes de Lovecraft, mais tout indique que Dagon pourrait agir comme un vassal ou un serviteur dans une structure hiérarchique implicite. Il partagerait certains cultes avec Cthulhu et participerait au grand dessein cosmique de domination terrestre. Toutefois, il conserve une autonomie relative, opérant sur des plans plus concrets et humains.
Cette position ambiguë le rend fascinant : Dagon semble à la fois dépendant de l’univers de Cthulhu et capable de se suffire à lui-même. Il agit comme une émanation locale du mal cosmique, un relais divin de l’horreur dans les abysses. Sa nature semi-divine et sa proximité avec les hommes le placent à mi-chemin entre le culte païen et la terreur cosmique, entre le monstre et le dieu.
Dagon dans la nouvelle « Dagon »
Résumé rapide de l’apparition du monstre
La créature Dagon fait sa première apparition dans la nouvelle éponyme, publiée en 1919. Le récit prend la forme du journal d’un ancien soldat traumatisé, naufragé dans une zone océanique étrangement émergée des flots après un séisme. Dans ce paysage désolé et cauchemardesque, couvert de vase et de ruines cyclopéennes, le narrateur aperçoit une monstruosité colossale sortir d’un gouffre marin : « une chose gigantesque à l’apparence d’un homme et d’un poisson, aux bras et jambes colossaux ».
Ce moment constitue le climax de la nouvelle, le point de bascule vers la folie. Dagon n’apparaît qu’un instant, mais son surgissement suffit à briser l’esprit du protagoniste. Le texte ne cherche pas à construire une intrigue classique, mais à transmettre une sensation d’effroi pur, une sidération devant l’inconnu absolu.
Cliquez ici et découvrez le résumé de la nouvelle Dagon (1919).
Analyse de l’impact psychologique de Dagon sur le narrateur
Le narrateur de Dagon n’est pas seulement témoin d’un monstre : il est confronté à une réalité qui dépasse son entendement, ce qui provoque chez lui une descente inévitable vers la folie. L’émergence de Dagon agit comme une révélation traumatisante : «Je ne peux songer aux profondeurs marines sans frissonner à l’idée des choses sans nom qui rampent peut-être en ce moment même sur son lit visqueux… », écrit-il dans un dernier sursaut de lucidité.
La créature devient alors une métaphore de la peur de l’inconnu et de la petitesse humaine face à un univers indifférent. L’homme est ici relégué au rang de témoin impuissant d’un monde plus ancien et plus vaste que le sien. Cette approche caractérisera par la suite l’essence même du mythe de Cthulhu.
Dagon comme première ébauche d’un mythe plus vaste

La nouvelle Dagon marque une étape fondatrice dans l’œuvre de Lovecraft. Même si le nom de Cthulhu n’y apparaît pas encore, tous les éléments du Mythe sont présents en germe : les ruines cyclopéennes, les entités cosmiques, la folie provoquée par la connaissance interdite. En ce sens, Dagon peut être vu comme l’ancêtre direct des Grands Anciens.
Lovecraft y expérimente une forme de narration fondée sur l’impuissance, la suggestion, et la déstabilisation ontologique. C’est dans Dagon que se cristallise pour la première fois sa vision d’un monde régi par des forces indifférentes, incompréhensibles — une thématique qui culminera plus tard avec des récits comme L’Appel de Cthulhu ou Le Cauchemar d’Innsmouth.
Représentations modernes de Dagon
Dagon dans les jeux vidéo, films et littérature
La figure de Dagon a essaimé dans de nombreux médiums contemporains. Dans le jeu vidéo Call of Cthulhu: Dark Corners of the Earth, il est une entité vénérée par les habitants d’Innsmouth, réaffirmant son rôle de divinité aquatique. Le film Dagon de Stuart Gordon sorti en 2001, librement inspiré de Le Cauchemar d’Innsmouth, fusionne les figures de Dagon et de Cthulhu pour créer une divinité marine oppressante et omniprésente.
En littérature, Dagon apparaît dans plusieurs extensions du Mythe par d’autres auteurs, tels qu’August Derleth ou Brian Lumley, souvent comme un dieu marin rivalisant avec Cthulhu. Il est aussi repris dans les jeux de rôle (L’Appel de Cthulhu de Chaosium) et les cartes de jeux comme Arkham Horror, où il conserve son aura mystérieuse et inquiétante.
Évolution de l’image de Dagon dans la pop culture
Au fil des décennies, Dagon a évolué d’un monstre méconnu vers une icône identifiable du panthéon lovecraftien. Sa silhouette amphibie, ses cultes secrets et son lien avec les Profonds en font un archétype facilement reconnaissable de l’horreur marine. Il figure désormais parmi les entités régulièrement convoquées dans les œuvres inspirées de Lovecraft.
Mais cette popularité ne l’a pas vidé de son mystère. Dagon reste une figure de l’ombre, souvent évoquée mais rarement mise en lumière, ce qui préserve sa puissance narrative. Il est à la fois une créature de cauchemar et un concept, un symbole de la peur des profondeurs et de l’indicible.
Pourquoi Dagon fascine-t-il encore aujourd’hui ?
Dagon incarne une angoisse ancestrale : celle de l’océan, de ses abysses inconnus, et de ce qu’ils pourraient abriter. Son silence, sa taille, son absence totale d’empathie humaine en font une figure parfaite de l’horreur cosmique. Contrairement à d’autres monstres plus bavards ou anthropomorphes, Dagon est pur symbole d’altérité.
Ce qui fascine, c’est son inhumanité totale. Il n’est ni bon ni mauvais : il est. Et dans cette indifférence radicale au sort de l’homme se trouve toute la philosophie horrifique de Lovecraft. Dagon est l’une des plus puissantes incarnations de l’effroi face à l’inconnu.
Symbolisme et thématiques autour de Dagon
La peur de l’océan et de l’inconnu

L’océan, dans l’œuvre de Lovecraft, est bien plus qu’un décor : il est une métaphore de l’inconnu, de l’immensité insondable de l’univers. Dagon en devient la personnification : une créature surgie des profondeurs, déconnectée de toute logique humaine. Il incarne les terreurs primitives liées à l’eau, au noir, à la noyade, à ce que l’on ne voit pas sous la surface.
Lovecraft utilise l’océan comme un miroir de l’inconscient collectif, peuplé de ruines anciennes et de dieux oubliés. La mer devient un espace de transition entre le monde rationnel et l’irrationnel, entre la science et le mythe. Dagon, monstre maritime par excellence, est la clef de ce passage.
Les cultes déviants et l’héritage dégénératif
Les cultes voués à Dagon sont souvent associés à la dégénérescence morale et physique. À Innsmouth, les pactes passés avec les Profonds aboutissent à un métissage monstrueux, où l’humanité est progressivement remplacée par l’altérité aquatique. Cette transformation, présentée comme un héritage inévitable, est le reflet d’une hantise de la contamination et de la perte d’identité.
Ces thématiques, qu’on retrouve aussi dans notre article H. P. Lovecraft était-il raciste ?, interrogent les peurs sociales et biologiques de leur époque. Dagon devient alors une figure du changement terrifiant, de la transgression des frontières entre espèces, entre civilisations, entre formes de vie.
L’angoisse cosmique incarnée par Dagon
Dagon ne cherche pas à détruire l’humanité : il l’ignore. Et c’est précisément cette indifférence qui terrifie. Là où d’autres monstres poursuivent un but, Dagon existe sans justification, sans logique humaine, comme une force naturelle mais incompréhensible.
Cette absence d’intention lisible en fait une entité typiquement lovecraftienne. Elle souligne l’idée que le cosmos est régi par des lois étrangères à la raison humaine, et que la prise de conscience de ces lois conduit à la folie. Dagon, silencieux, tapi sous les vagues, est l’un des plus parfaits symboles de cette angoisse cosmique.
Dagon et le Mythe de Cthulhu
Comparaison avec Cthulhu, Nyarlathotep, et Azathoth

Contrairement à Cthulhu, qui dort en R’lyeh, ou à Azathoth, qui régit le cosmos aveuglément, Dagon est plus proche, plus physique. Il agit sur Terre, influençant des communautés humaines.
Trop souvent perçu comme secondaire, Dagon mérite une place centrale. Sa présence dans plusieurs récits (Dagon, Le Cauchemar d’Innsmouth) témoigne de son importance.
Dans le foisonnement du Mythe de Cthulhu, Dagon offre une voie d’exploration unique : celle de la mer, de l’héritage, et de la déshumanisation.
Où retrouver Dagon dans l’univers Lovecraftien ?
En dehors de la nouvelle éponyme, la figure de Dagon réapparaît de manière plus diffuse dans l’œuvre de Lovecraft, notamment dans Le Cauchemar d’Innsmouth, où il est vénéré aux côtés de Mother Hydra par les Profonds et les habitants dégénérés de la ville. Ces mentions, bien que parfois indirectes, confirment son rôle central dans l’écosystème du Mythe de Cthulhu, en tant que divinité aquatique liée aux cultes secrets et aux transformations génétiques.
Dagon est également cité dans des textes secondaires du Mythe, notamment dans les écrits apocryphes associés au Necronomicon, où il est présenté comme une puissance ancienne, vénérée dans les profondeurs par des cultes oubliés. Même dans les récits où son nom n’apparaît pas explicitement, l’empreinte de Dagon se fait sentir : l’omniprésence de l’océan comme lieu de mystère et de corruption, la thématique du métissage monstrueux entre l’humain et l’abominable, et l’idée d’un savoir ancestral transmis par des entités inhumaines sont autant de motifs que l’on peut lui rattacher.
Son influence dépasse donc sa seule présence littérale, pour s’étendre à l’ensemble de l’imaginaire lovecraftien lié à l’abîme et à l’altérité.
Dagon : synthèse d’une horreur marine unique chez Lovecraft
Dagon, bien que moins célèbre que Cthulhu ou Nyarlathotep, n’en demeure pas moins une figure essentielle du panthéon lovecraftien. Il incarne l’effroi marin, l’altérité radicale, et le poids d’un passé oublié. Sa redécouverte, tant littéraire que symbolique, ouvre des perspectives nouvelles sur l’œuvre de Lovecraft. Plonger dans les abysses de Dagon, c’est accepter de ne jamais remonter indemne.
Pour explorer davantage les secrets du Mythe, n’hésitez pas à consulter notre résumé de la nouvelle Culte « La Couleur tombée du ciel » ou bien de découvrir le Dieu Nodens qui semble oeuvrer pour le bien dans le mythe de Cthulhu.



